Le Centre Henry Dunant (HD) pour le dialogue humanitaire est une Organisation internationale, issue du Comité International de la Croix-Rouge (CICR), il y a une vingtaine d’années. Basé à Genève, il Intervient dans les pays en crise, partout dans le monde. Il contribue à gérer et résoudre les conflits armés et les troubles politiques, par la médiation et le dialogue. Entretien avec M. Alexandre Liebeskind, son Directeur du département Afrique francophone.
Pour les non-initiés, le Centre Henry Dunant ne dit pas grand-chose. Qu’est-ce que c’est ce Centre, pourtant très engagé dans le dialogue humanitaire ?
Comme le CICR, le Centre HD est une Fondation de droit privé suisse qui respecte les principes de la neutralité et de l’impartialité pour garantir son indépendance. Son compas éthique est le devoir d’humanité, qui guide toutes ses actions. Le Centre HD émane de l’esprit de Genève qui cherche à trouver des solutions pragmatiques et durables aux conflits, sans promouvoir d’agenda idéologique, et qui opère avec discrétion en complémentarité des efforts de la diplomatie officielle. En ce sens, on nous qualifie parfois de « diplomates privés », mais le Centre HD est plus qu’un club de médiateurs free- lance: c’est une institution rigoureuse en matière de méthodologie comme de déontologie.
En parcourant les pays confrontés à des crises, notamment celles intercommunautaires, on aperçoit des traces de votre Centre. Ce qui prouve qu’il est, depuis quelques années, très actif en Afrique. Qu’est ce qui explique ce dynamisme ?
C’est vrai qu’au cours de la dernière décennie, le Centre HD s’est graduellement développé en Afrique jusqu’à devenir un acteur de référence dans la médiation des conflits. Ce développement émane essentiellement de notre décision stratégique de confier nos opérations sur le terrain, essentiellement, à des africaines et des africains, dont la compréhension des dynamiques conflictuelles et les réseaux ont une valeur ajoutée inestimable. Cela nous a amené à développer notre action verticalement, en intervenant tout au long de la chaîne des conflits, aux niveaux agro-pastoraux, communautaires et nationaux; et horizontalement, en nous déployant dans le Golfe de Guinée, au Sahel, en Afrique centrale et dans la Corne de l’Afrique. La facilitation de centaines d’accords de résolution de disputes d’accès aux ressources naturelles, de plus de cinquante accords communautaires et de dizaines d’accords entre Etats et groupes armés a contribué à asseoir la réputation du Centre HD comme un acteur dont la méthodologie d’analyse des conflits et de gestion des négociations permet de réduire la violence et de créer des mécanismes durables de gestion des différends.
Que dire des interlocuteurs du Centre Henry Dunant ? Autrement dit, à quelle partie, quelle catégorie de populations s’adresse-t-il ?
Peut-être que la caractéristique même de notre approche est cette capacité à prendre l’ascenseur pour gérer aussi bien des disputes de vol de bétail avec des communautés rurales que des négociations au plus haut niveau impliquant Chefs d’Etat et leaders de groupes armés. Les conflits d’accès aux pâturages, points d’eau et filons d’or, alimentent le crime organisé et les conflits entre communautés, qui alimentent à leur tour les insurrections armées et les guerres civiles. On ne peut résoudre durablement les conflits politiques sans régler les conflits économiques, et vice-versa. La démographie de nos médiateurs est emblématique de notre stratégie: nous animons un réseau de plus de 2’000 médiateurs agro-pastoraux. Nous avons une soixantaine de médiateurs communautaires, et une poignée de médiateurs politiques. C’est ce que nous appelons les « suits and boots ». Ils font la spécificité de la maison.
Dans les situations de conflits armés, il n’est pas toujours facile de se faire accepter par les parties adverses. Comment le Centre HD arrive-t-il à réussir, pour mener ces activités ?
La clé de l’acceptation est l’écoute. Un bon médiateur doit être capable de comprendre les motivations qui ont mené les belligérants à prendre les armes. Il y a toujours un mélange de griefs légitimes, généralement basés sur un sentiment de marginalisation, d’injustice ou de peur et d’aspirations à une meilleur vie ou à conserver des privilèges. Tout l’art de la médiation consiste à amener les parties à trouver un accord qui défend leurs intérêts individuels essentiels et instaure des mécanismes d’une gestion consensuelle de l’intérêt collectif. Cela n’est possible qu’en formant des équipes de médiateurs qui disposent de la confiance des parties, en respectant rigoureusement le principe de la neutralité de la médiation. La qualité des relations personnelles de nos médiateurs est aussi importante que celle de leur travail. Notre rôle est d’assurer que les principes d’une médiation efficace soient respectés.
Quel accueil ses bénéficiaires ou « clients » vous réservent-t-ils, surtout lorsqu’il s’agit d’activités pendant les moments de forte tension auprès de communautés que tout oppose ?
La médiation est un métier à haut risque, et nous en avons douloureusement payé le prix. Les belligérants ont tôt fait d’accuser l’émissaire de collusion avec l’ennemi, ou de favoriser un règlement du conflit qui avantage l’une ou l’autre des parties. C’est d’autant plus vrai que les accords de paix sont rarement symétriques, ils sont plutôt le reflet d’un rapport des forces et font souvent des concessions à la justice au profit de la stabilité. Même si nos relations avec les parties sont houleuses, c’est en les accompagnant dans la durée, avec constance et sérieux, que l’on finit par gagner la confiance des uns et des autres. C’est un métier qui demande de la patience et de la persévérance : la plupart des processus de paix durent des mois et souvent des années, et sont jalonnés de bouffées de violence et de traversées du désert. Prenez la Casamance, cela fait bientôt dix ans que nous faisons la navette entre l’Etat du Sénégal et les rebelles du MFDC (NDLR : Mouvement des forces démocratiques de la Casamance), ou encore la République Centrafricaine où nous avons soutenu toutes les négociations de paix depuis 2007 sans voir le bout du tunnel. Mais, à chaque fois que nous parvenons à un accord de suspension des hostilités, même temporaire, la reconnaissance des communautés n’a pas de prix.
En définitive, quelle analyse faites-vous des nombreux conflits et foyers de tension en Afrique ?
Dans certains pays du continent, la concentration du pouvoir dans les mains des Chefs d’Etat favorise l’accaparement des richesses par une tribu, aux dépens des autres. Les inégalités engendrent les insurrections des laissés pour compte, sur des lignes identitaires ou idéologiques. Les violences profitent à ceux qui promettent le retour de l’ordre et de la justice, qu’il s’agisse de régimes autoritaires, de séparatistes ou de groupes armés djihadistes. Le grand perdant de ce cycle vicieux est l’idéal démocratique libéral, parce qu’il a failli à fournir de la sécurité physique, juridique et économique aux masses. Les processus de paix qui se succèdent en Afrique parviennent à éteindre temporairement les violences par des accords de partage du pouvoir entre puissants, ou en entérinant une alternance du pouvoir par la force. Mais, à chaque fois, la communauté internationale n’a qu’une hâte: organiser des élections pour désigner un nouvel homme fort qui tombe presque toujours dans les travers de ses prédécesseurs. Il faut oser utiliser les processus de paix pour réformer l’architecture de gouvernance, afin de donner davantage d’autonomie aux communautés et de créer des contre-pouvoirs effectifs. (…) Au contraire de la Suisse, l’Afrique a tout pour elle: la taille, les ressources naturelles, l’accès aux océans, et une population jeune et extraordinairement résiliante.
Propos recueillis par IC