L’artiste suisse Stefano Boroni, dessinateur et polydesigner 3D, s’est engagé dans la promotion du mémorial du bateau « Le Joola » et aux côtés des familles des victimes. Le ferry qui reliait la Casmance, au sud du Sénégal, à Dakar, la capitale, a fait naufrage en septembre 2022, avec plus de 1’000 personnes à bord. Dans l’interview ci-dessous, au magazine reflets suisse-afrique, il parle de son engagement et de son avenir.
Vous êtes un artiste suisse attaché à l’Afrique. Comment expliquez- vous cet attachement ?
Je ne me l’explique pas rationnellement. Il est vrai, que déjà, mon premier album, portait sur le travail des missionnaires suisses en Afrique australe.
Dans le cadre de vos activités artistiques, vous est-il arrivé de rencontrer des artistes africains ? Si oui, que retenez-vous de ces échanges ?
Je n’ai pas eu d’échanges directement avec des artistes africains. J’ai rencontré des personnes qui travaillent autour du mémorial et des membres des familles des victimes du « Bateau Joola », qui reliait Ziguinchor (Casamnce, au sud) à Dakar (la capitale). Il a fait naufrage en septembre 2002 aux larges des côtes gambiennes, avec plus de 1’000 personnes à bord. J’étais extrêmement touché par l’attention que M. Patrice Auvray, l’un des 64 rescapés du drame, a porté à mon album. Son soutien, tant au niveau de l’information, qu’au niveau humain a été très précieux. Je m’en souviendrai pour toujours. Un autre, M. Moussa Wélé, archéologue-plongeur, qui participe aux plongées vers « Le Joola » a été aussi impliqué dans la production de cet album. Je lui suis très reconnaissant. Au début de la réalisation des premiers dessins, j’ai eu un message de soutien vocal de la part de M. Haidar El Ali, membre honoraire de l’Oceanium de Dakar, qui m’a beaucoup touché. J’en suis très honoré.
Vous avez parlé tout à l’heure d’album. Pouvez-vous nous en dire plus sur le contenu, les raisons qui vous ont amené à sa réalisation, et à qui il est destiné?
L’album est un tableau de dessin dédié au naufrage du « Joola ». Il est destiné aux familles des victimes en premier lieu, et aux enfants du Sénégal. Je n’ai pas dessiné de scène de naufrage ou autres scènes choquantes. Le scénario est construit comme une fable. Les victimes sont sous l’eau et voient « Le Joola » depuis le fond de la mer. Leur mission est d’y remonter. Un arbre poussera du fond de la mer et permettra à l’une des victimes de remonter à la surface.
Comment a-t-il été accueilli par le public ?
Les média sénégalais ont répondu présent à sa présentation. J’en suis très satisfait et reconnaissant ! En juin 2024, avec les maisons d’édition (Harmattan et Sept info) nous avons fait le point sur les ventes de l’album pour reverser à l’Association des familles des victimes, mon pourcentage (de 8%) de droit d’auteur. Cela est mentionné en première page de l’album.
Que comptez-vus faire pour pérenniser votre engagement et développer vos échanges avec l’Afrique ?
A moyen terme, je vais rester en contact avec les responsables du mémorial à Ziguinchor pour participer à sa réussite, en donnant des idées sur la muséographie et des activités pédagogiques. L’album que j’ai dessiné est apprécié et intégré dans le mémorial. Deux tableaux, grand format, que j’ai réalisé à Dakar, l’été dernier avec ma consœur Maira Bliggenstorfer seront aussi exposés au mémorial.
Vous avez perdu des amis dans le naufrage du Joola. Ce qui explique aussi votre engagement dans la promotion du mémorial. Comment vivez-vous cette perte ?
Mon ami Domizio Lepori et sa compagne Barbara Schudel ont perdu la vie dans le Joola. Aujourd’hui, à 50 ans, j’ai intégré que la mort est partie intégrante de la vie. J’essaie d’accepter profondément cela, pour tenter de vivre chaque jour pleinement. Le drame du Joola peut nous enrichir, nous qui sommes encore ici. En dessinant l’album, j’essayé de « donner de la douceur » au disparus, en les caressant avec le pinceau. C’est évidemment symbolique tout ça, mais je donne beaucoup d’importance à cette dimension de la vie.
Propos recueillis par IC