Diplomatie : Interview de l’Ambassadeur Josef Renggli sur les relations Suisse-Tunisie

L'Ambassadeur Josef Renggli. Photo: ©DFAE/Samy Snoussi.

Ce n’est un secret pour personne : les relations entre la Suisse et la Tunisie sont au beau fixe. L’Ambassadeur Josef Renggli le confirme. Dans une interview à reflets suisse-afrique, il se dit d’ailleurs « très confiant et serein » pour leur avenir. Nous vous proposons l’intégralité de cette interview, ci-dessous :

La Suisse entretient des relations diplomatiques, économiques, sociales et culturelles avec la Tunisie, depuis 1939, avec l’ouverture d’un Consulat suisse dans le pays. En 2023, que dire de ces relations ?

Si la première représentation officielle suisse sur le sol tunisien a en effet ouvert en 1939, les relations économiques, sociales et culturelles n’ont pas attendu cette date pour commencer ! Par exemple, le fondateur de la Croix-Rouge Henry Dunant a séjourné 6 mois en Tunisie en 1856/57 et en est retourné impressionné par l’ouverture de la société tunisienne. Le peintre Paul Klee a quant à lui visité Tunis en 1914 et en est revenu inspiré par la beauté de la lumière. Depuis, les échanges humains se sont encore intensifiés avec une communauté de plus de 7’000 citoyens tunisiens résidant en Suisse et quelques 1’500 citoyens suisses résidant en Tunisie, des échanges commerciaux d’environ 440 millions de francs suisses par an, plusieurs dizaines d’entreprises suisses créatrices d’emplois en Tunisie, de nombreuses collaborations entre institutions dans le domaine de la recherche et de la science, et des échanges culturels d’une inspirante diversité.

Ces relations, comme vous l’indiquez, sont multiformes, touchant beaucoup de secteurs de la vie nationale tunisienne. Comment les évalueriez-vous, en termes de succès et d’échecs ?

En termes de succès, je suis heureux que les autorités suisses et tunisiennes se soient assurées d’offrir un cadre favorable aux relations qui se développent naturellement grâce aux échanges humains, à l’énergie des entrepreneurs, au génie des chercheurs et à la créativité des artistes. Nos pays ont ainsi conclu des dizaines d’accords bilatéraux dans des domaines allant de la facilitation du commerce à – dernier accord en date – la protection sociale. Je ne saurais en revanche parler d’échecs, et c’est bien ainsi ! Peut-être pourrais-je, au plus, mentionner ici le fait que les relations économiques n’ont à mon avis pas atteint leur plein potentiel. Nous y travaillons cependant en coopération avec les autorités tunisiennes et la Chambre de Commerce et d’Industrie tuniso-suisse.

Depuis la révolution dite de Jasmin de 2011, qui a marqué un tournant dans la vie démocratique de la Tunisie, la Suisse a renforcé sa coopération au développement avec le pays. Quels sont les résultats de cette coopération, 12 ans après ?

La Tunisie a été confrontée depuis 2011 à des défis de taille. La transition démocratique, un processus déjà très complexe, a été rendue plus difficile encore par l’impact des attentats de 2015 et de la pandémie de 2020-21 sur l’économie du pays. Le soutien de la Suisse comme des autres partenaires internationaux de la Tunisie a donc été essentielle pour permettre au pays de faire face à ces développements. Si je devais citer des exemples concrets de résultats de notre soutien, je mentionnerais volontiers notre appui à quatre filières agricoles, qui a généré >1500 emplois durables, ainsi que notre appui à la formation professionnelle, qui a permis de former >6000 personnes avec un taux d’insertion dans le marché du travail autour de 80%. Si je cite ces exemples, c’est que ces projets ont bénéficié principalement aux femmes et aux jeunes.

A propos toujours de la révolution de Jasmin, mais côté justice. En effet, la Suisse avait été saisie par les autorités tunisiennes pour la restitution de fonds détournés par d’anciens dirigeants de leur pays. Comment évolue ce dossier ?

Début 2011, les autorités suisses ont réagi immédiatement aux développements politiques en Tunisie et ont ordonné le blocage à titre préventif des avoirs du président déchu Ben Ali ainsi que ceux de son entourage à hauteur d’environ 60 millions de francs. Ce blocage a empêché que les avoirs en question ne soient retirés de Suisse et a donné aux autorités tunisiennes du temps pour mettre en place une coopération judiciaire avec la Suisse. Cette coopération entre les autorités judiciaires suisses et tunisiennes en vue de la restitution des avoirs est encore en cours et est facilitée par les deux gouvernements.

Vers la fin de décennie 2010-2020, la Suisse a mis en œuvre une architecture diplomatique qui place l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient sous le même toit, appelé MENA. Il s’en est suivi une nouvelle « Stratégie de politique extérieure 2020-2023 », fixant les grands axes et les priorités suisses tant dans cette région que dans le reste de l’Afrique. Pour la Tunisie, qu’est ce cette réforme a apporté de nouveau et comment l’appréciez-vous ?

Sous l’impulsion du Conseiller fédéral Ignazio Cassis, le Conseil fédéral a en effet adopté en 2020 une stratégie qui couvre la région MENA, dont la Tunisie. La période écoulée depuis a été riche en bouleversements géopolitiques, économiques et sociaux. A deux ans de pandémie a succédé l’agression russe de l’Ukraine qui a ouvert une nouvelle période d’incertitude et qui a des retombées concrètes sur la Tunisie. Dans un contexte si incertain, les priorités de la Suisse en Tunisie telles que définies dans la stratégie – renforcement de la gouvernance démocratique des institutions tunisiennes, développement durable de l’économie tunisienne, et poursuite du partenariat sur les questions migratoires – permettent de garder le cap malgré tout, tout en nous donnant la flexibilité nécessaire pour répondre aux développements en Tunisie.

A partir de cette appréciation, comment percevez-vous l’avenir des relations Suisse-Tunisie ?

Je suis très confiant et serein par rapport à l’avenir de nos relations bilatérales. Nos deux peuples sont amis de longue date, et les autorités suisses et tunisiennes ont su construire sur ces liens d’amitiés pour développer des coopérations dans un grand nombre de domaines. Ceci représente une base idéale pour poursuivre et approfondir nos relations bilatérales. En attendant, la Suisse suit avec grande attention les récents développements politiques et économiques en Tunisie. Sa stratégie de politique extérieure lui donne les instruments nécessaires pour poursuivre ses priorités, en gardant toujours à l’esprit le bien-être de nos deux peuples, nos valeurs et les principes essentiels de la démocratie.

Propos recueillis par IC