L’Ambassadeur Jürg Lauber est le Chef de la Mission permanente Suisse auprès de l’ONUG (Organisation des Nations-Unies à Genève). Dans l’interview ci-dessous à reflets suisse-afrique, il fait un bilan 2020 des relations internationales.
L’année 2020 s’achève dans un contexte de pandémie Covid-19. Quel bilan pour la Mission suisse auprès des Organisations internationales du système des Nations Unies à Genève ?
2020 est une année que le monde n’oubliera pas facilement. Les organisations internationales, comme d’ailleurs les entreprises, ont dû mettre en place une nouvelle façon de fonctionner, en renonçant aux réunions en présentiel. À Genève, ce passage au virtuel s’est fait rapidement. Après une dizaine de jours, les premières discussions ont repris. La Geneva Internet Platform, soutenue par la Suisse, offre à la communauté internationale un support technique précieux. Genève, avec l’OMS (Ndlr : Organisation mondiale de la santé) et d’autres organisations actives dans le domaine de la santé, se retrouve au cœur de la lutte contre la COVID19. Elle ne peut pas se permettre de ne pas fonctionner. Cette pandémie met en évidence la valeur incontournable du multilatéralisme. Aucun pays, ni le plus puissant, ne peut y faire face seul.
Cette situation que vous venez de décrire montre les défis encore à relever pour un ordre mondial plus juste, et épris de paix. Comment y parvenir ?
Le chemin est sans doute long, mais la coopération globale est le seul moyen pour y parvenir. Chaque conflit évité, chaque règle commune adoptée par les Etats sont un pas dans la bonne direction. Les Nations-Unies et les autres organisations internationales, sises à Genève, contribuent énormément à un monde plus juste et prospère. Le Haut-commissariat aux réfugiés assiste plus de 20 millions de personnes dans le monde. Le Fonds mondial pour la lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme a déjà sauvé plus de 20 millions de vies. Les entreprises du monde entier peuvent faire certifier leurs efforts de lutte contre l’argent sale, grâce aux normes créées par ISO, l’Organisation internationale de normalisation. Et ceux-ci ne sont que quelques exemples du travail produit par les entités qui ont leur siège à Genève.
Les différentes crises économiques, sociales, financières, internes dans les pays conduisent souvent à un repli ou au nationalisme des Etats, au point qu’on en arrive à se demander si le multilatéralisme n’est pas menacé. Quel est votre sentiment ?
Le monde traverse une phase de transformation profonde. Il y en a eu d’autres dans l’histoire. Aujourd’hui, toutefois, la vitesse à laquelle le changement s’opère est sans précédent. Cet élément nourrit un sentiment d’insécurité qui pousser certains Etats à se replier sur soi-même. En même temps, les défis qui se posent sont globaux : seule la coopération internationale peut produire des solutions pour la bonne gestion des flux migratoires, un accès équitable aux vaccins ou la gouvernance de l’espace digital, pour ne citer que quelques exemples. Il n’y a pas d’alternative au multilatéralisme. Face aux transformations du monde, le service public global doit continuer à s’adapter et à se moderniser. Il doit aussi faire face aux difficultés liées à son financement, qui n’est pas toujours à la hauteur des tâches qu’il doit accomplir. Peu de monde sait, par exemple, que le budget de l’OMS est équivalent à celui de l’Hôpital universitaire de Genève. Ce n’est sûrement pas trop pour une organisation qui est appelée, entre autres, à coordonner les efforts globaux contre les pandémies.
Comment la Suisse vie-t-elle son statut de pays hôte et de pays membre du système des Nations, à Genève ?
Pour la Suisse, c’est un privilège de pouvoir accueillir sur son sol tant d’organisations actives pour la paix, les droits humains et la prospérité du monde. Le fait d’être un Etat hôte fiable et engagé renforce notre crédibilité aussi en tant qu’Etat membre et nourrit notre réputation de pays neutre, qui n’a pas d’agenda caché et qui s’emploie à favoriser le dialogue et la recherche de solutions de compromis. Notre profil est clair et se reflète aussi dans le slogan pour notre candidature à un siège non permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU pour la période 2023-24, qui fait allusion au drapeau Suisse : « Un + pour la paix »
Au-delà de ces organisations, la Suisse a-t-elle un rôle particulier à jouer dans la Genève internationale ?
La Suisse a une longue tradition de bons offices. Nous sommes convaincus que les conflits peuvent être résolus de façon durable seulement à travers le dialogue. Pour cette raison, nous accueillons régulièrement sur notre sol des négociations de paix. Genève notamment se prête particulièrement bien à fournir un terrain neutre et facilement accessible aux parties qui souhaitent régler leurs divergences par la voie de la diplomatie. Et si les parties le souhaitent, la Suisse peut assumer un rôle de facilitateur ou de médiation.
De façon particulière, comment se présentent les relations entre la Suisse, pays hôte, et les organisations du système des Nations-Unies ?
Nous sommes ravis de constater que la collaboration entre l’Etat hôte et les organisations internationales se déroule sur une base de confiance et d’échanges constructifs. Nous nous employons à garantir les meilleures conditions d’accueil possibles, avec des infrastructures modernes, des solutions énergétiques durables et qui permettent au service public global de réduire les coûts logistiques pour plus investir dans les projets sur le terrain, en faisant la différence pour les populations dans le besoin.
A travers la présentation que vous venez de faire, que faudrait-il en conclure ?
La Suisse croit fermement que les rapports internationaux doivent être basés sur le respect de l’état de droit. Pour cette raison, mon pays attache une grande importance à la force et à l’efficacité du système multilatéral, au cœur duquel se trouvent les Nations- Unies. Notre politique d’accueil est une des expressions de notre attachement au multilatéralisme, dont Genève est un des centres les plus importants au monde. C’est à Genève que s’était installée, il y a 100 ans, la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU. Et toujours ici a été créé, en 1863, le Comité international de la Croix-Rouge. La coopération internationale et l’engament humanitaire sont inscrits dans l’ADN de Genève et de la Suisse.
Propos recueillis par IC