Le Service de renseignement de la Confédération suisse (SRC) a publié, le 22 octobre, son second rapport de l’année 2024. Nous vous proposons en intégralité, la partie concernant l’Afrique, ci-dessous :
« Sur le continent africain, la situation en matière de sécurité s’est encore détériorée, en particulier dans la région du Sahel.
Depuis 2020, l’Afrique de l’Ouest a été le théâtre d’une série de coups d’État et l’autoritarisme augmente dans de nombreux pays.
Pour les grandes puissances, les matières premières que recèle l’Afrique et le soutien diplomatique des États africains revêtent une importance stratégique.
La situation stratégique se caractérise de plus par un nombre croissant d’acteurs qui jouent un rôle important en matière de politique de sécurité. Parmi ceux-ci figurent, outre les grandes puissances et les puissances régionales rivales, des institutions internationales et supranationales, mais avant tout aussi des acteurs non étatiques, comme des organisations non gouvernementales, des groupes technologiques, des organisations terroristes, voire des personnes travaillant ensemble au cas par cas, tels des groupes de hackers, qui peuvent, au vu du cadre prévalant actuellement dans le domaine technologique, influencer la sécurité de pays entiers, voire la remettre en cause. La multiplicité des acteurs et des menaces ainsi que leurs interconnections rendent l’environnement politico-sécuritaire plus imprévisible et augmentent le risque que des événements – y compris de portée stratégique – puissent survenir par surprise.
L’AFRIQUE, THÉÂTRE DE RIVALITÉS CROISSANTES ENTRE GRANDES PUISSANCES
Dans une grande partie du continent africain, la situation sécuritaire s’est encore détériorée en raison de l’instabilité politique et des activités djihadistes, en particulier dans la région du Sahel. L’Afrique va au-devant d’une escalade de ce type de crises, qui auront des conséquences politiques à l’échelle mondiale, plus particulièrement sur le plan géopolitique et en matière de politique de sécurité.
Sur le plan politique, une vague de coups d’États marque le continent depuis 2020. Des juntes militaires ont renversé par la force des présidents parfois démocratiquement élus et ont pris le pouvoir. Cette situation conduit à une augmentation de l’autoritarisme et à un affaiblissement des principes universels et démocratiques dans ces pays.
Au niveau géopolitique, l’Afrique est le théâtre de rivalités croissantes entre puissances extérieures telles que les États-Unis, la Chine, la Russie, la France, la Turquie ou l’Iran. Dans un contexte international polarisé, les matières premières que recèle le continent et le soutien diplomatique des États africains ont une importance stratégique. Ces derniers mettent à profit les opportunités qui en découlent et se positionnent avec plus d’assurance face aux grandes puissances.
VERS DES FOYERS DE CRISES AU SAHEL
En Afrique de l’Ouest, les putschistes se détournent de leur puissance protectrice traditionnelle, la France, et misent sur la Russie en tant que partenaire. Ce développement a également des conséquences pour les Nations Unies, en particulier au Mali, dont les nouveaux dirigeants ont obtenu la fin de la mission de stabilisation de l’ONU. La situation sécuritaire se dégrade également dans de nombreux foyers de crise, et cela principalement à cause des acteurs djihadistes dont les victimes se comptent chaque année par milliers. Ces foyers de crise se situent en premier lieu dans la région du Sahel, en Afrique centrale et dans la Corne de l’Afrique. Les grandes puissances se proposent activement comme partenaires pour la lutte contre le terrorisme, comme les Etats-Unis en Somalie ou la Russie au Sahel. Pour renforcer sa prise d’influence régionale, la Russie tente actuellement d’assurer le contrôle de ses unités paramilitaires sur le continent africain.
EXPENSION DE LA MENANCE DJIHADISTE
Dans les années à venir, il est très probable que la situation sécuritaire dans ces régions continuera à se dégrader. La région du Sahel sera particulièrement touchée par l’instabilité politique en raison de la fragilité des pouvoirs en place et de l’expansion de la menace djihadiste.
De plus, la forte rivalité entre les grandes puissances en Afrique de l’Ouest devrait renforcer la polarisation de la région. En 2023, trois États de la zone du Sahel ont créé, avec le soutien de la Russie, l’Alliance des États du Sahel, cela en contrepartie délibérée à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest.
Il est très probable que ce changement dans l’architecture politique et sécuritaire régionale fera le jeu des groupes djihadistes. L’engagement et les intérêts de la Suisse en Afrique continueront d’être influencés par l’évolution en cours.
En tant que première place mondiale du négoce des matières premières, il est probable que la Suisse sera touchée par les efforts qu’entreprend la Russie pour contourner les sanctions internationales via ses réseaux africains. Les enjeux sont également importants sur le plan diplomatique, en particulier au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.
DES REFUGIES PEUVENT SE RADICALISER
Le fait que certains Etats africains se détournent des principes démocratiques et de l’Etat de droit placera l’engagement de la Suisse pour la démocratie et les droits de l’homme ainsi que les activités économiques suisses sur le continent devant de nouveaux défis. Enfin, l’instabilité est un terreau fertile pour la migration illégale vers l’Europe. Cette situation peut être sciemment instrumentalisée par des acteurs étatiques de la région, parfois avec l’aide de la Russie. Les tensions en Afrique peuvent également avoir des répercussions sur la diaspora en Suisse. Elles peuvent se traduire par de violents affrontements publics, comme ceux auxquels la diaspora érythréenne s’est par exemple livrée à plusieurs reprises en Suisse.
L’Afrique est un épicentre d’activités djihadistes qui font des milliers de victimes chaque année. Des sous-groupes et groupes régionaux affiliés de l’« État islamique » et d’Al-Qaïda sont également actifs sur le continent africain. Ils profitent de la frustration de la population face à la mauvaise gouvernance, à la pauvreté et au manque de perspectives. La migration influence la menace de deux manières : d’une part, les acteurs djihadistes peuvent profiter des mouvements migratoires pour entrer en Europe, d’autre part, des réfugiés peuvent se radicaliser et passer à l’acte une fois seulement arrivés en Europe. La guerre en Ukraine et les mouvements migratoires qui lui sont liés n’ont pas entraîné d’aggravation directe de la menace terroriste en Suisse. »
Rfl s-a/HI/OK