La Suisse est sur le point de boucler, au 31 décembre prochain, la première phase d’un programme de coopération transfrontalière en Afrique de l’ouest. Dans l’interview ci-dessous, le Conseiller Régional Gouvernance Afrique de l’Ouest, au Bureau de coopération suisse au Bénin, M. Gérard Babalola Lalèye présente un bilan et les perspectives de ce programme.
La Suisse finance depuis quelques années, un Programme de Coopération Transfrontalière Locale (PCTL) en Afrique de l’ouest. Comment se présente-t-il ?
Effectivement depuis 2015, la Suisse soutient à travers le PCTL, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), une instance regroupant huit pays d’Afrique de l‘Ouest. Ce programme contribue au développement politique, social et économique d’espaces constitués de frontières de plusieurs pays. Des espaces qui ont la particularité d’être isolés des villes et qui ne disposent pas de services publics de base suffisants et de qualité.
Quel intérêt pour la Suisse, à financer un programme de ce genre dans cette sous-région ?
L’Afrique de l’Ouest est une des régions prioritaires de la coopération au développement de la Suisse. Elle y est présente depuis plus de 40 ans. Le PCTL contribue à la sécurité et à la stabilité de cette région, ce qui est donc dans l’intérêt direct de la Suisse. Ce programme contribue également à l’intégration régionale et facilite de ce fait la migration régionale de travail notamment des jeunes entre pays de l’UEMOA. L’emploi des jeunes étant un levier de développement promu par la Suisse..
Nous sommes dans le processus de démarrage de la deuxième phase du Programme en 2021. Quel bilan pour la première phase ?
En termes de bilan, le soutien de la Suisse a donné un élan crucial à cette coopération transfrontalière et a démontré qu’elle peut être un moteur pour le développement économique, la paix et la sécurité. Le programme a établi le dialogue entre les acteurs locaux, les fonctionnaires des États de l’UEMOA et offre de ce fait l’opportunité d’un meilleur atterrissage des politiques nationales et régionales de développement.
Quelles sont les réalisations phares du programme et celles qui vous donnent satisfaction ?
Concrètement, le PCTL a permis la réalisation de 23 kilomètres de pistes rurales qui facilitent l’accès au Centre de Santé Transfrontalier de Ouarokuy – Wanian entre le Mali et le Burkina-Faso. Toujours au cours de cette phase, le marché de Téra (Niger) a été rénové et agrandi. Depuis lors, il s’anime tous les jours et permet aussi aux femmes et aux jeunes du Mali (Gao, Tombouctou) et de Dori (Burkina) de vendre leurs produits d’agriculture et d’élevage. Les recettes de la Mairie de Téra se sont aussi, substantiellement, accrues. Enfin, avec 20 puits à grands débits forés et un réseau d’adduction d’eau réhabitué, le PCTL a renforcé l‘accès à l’eau potable dans des villages situés au Mali (Loulouni, Nimbougou) et au Burkina-Faso (Ouéléni). Environ 4 milliards ont été alloués à ces différents projets.
Quelle lecture faites-vous de ce bilan global ?
Nous sommes évidemment satisfaits des résultats. Le programme s’est révélé pertinent quand on voit ce qui se passe aujourd’hui dans la sous-région ouest africaine où l’essentiel des conflits se situe près des frontières. La Suisse a donc vu juste en répondant favorablement à la demande de l’UEMOA avec ce programme qui s’intéresse à des zones fragiles qui concentrent aujourd’hui près de 50% de la population ouest-africaine. Egalement, le PCTL a surtout fait émerger des dynamiques d’acteurs locaux qui prennent en mains leur destin et parviennent progressivement à jouer leur rôle. Ceci, grâce aux outils de diagnostic territorial mis en place comme le Schéma d’Aménagement Transfrontalier Intégré – SATI et aux infrastructures prioritaires mutuellement exploitables par des milliers de citoyens situés de part et d’autre des frontières.
Quelles sont les difficultés rencontrées dans sa réalisation ?
Cette année 2020 l’équipe d’une entreprise est tombée dans une embuscade tendue à une frontière par un groupe armé non identifié. Un employé est malheureusement décédé. C’est pour vous montrer combien de fois la situation sécuritaire est préoccupante. Elle fait partie des risques majeurs auxquels s’expose notre intervention auprès de ces populations, déjà démunies et vulnérables. La Suisse et son partenaire, le Conseil des Collectivités Territoriales (CCT-UEMOA) restent toutefois engagés. Des approches de travail permettant une analyse régulière de la situation sont élaborées afin de pouvoir (tout en état efficace) limiter les risques pour les personnes et les biens.
Pour la réussite de la deuxième phase, quel message lancez-vous aux partenaires africains ?
La Suisse apportera environ 9 milliards de francs CFA sur la phase 2 PCTL (2020 à 2024). Ces ressources viennent renforcer les politiques des Etats, des institutions régionales telles que l’UEMOA et la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest).
Mais notre dialogue avec ces partenaires vise surtout à attirer l’attention sur la nécessité d’accorder une plus grande attention à la situation de sous-développement des frontières. Car, de manière générale, face aux multiples crises qui secouent les pays de la sous-région, il est important de repenser la manière dont les moyens publics sont alloués aux territoires surtout ceux situés en périphéries.
L’autre message concerne, la situation sanitaire liée au Covid-19. Nous savons tous que les mesures pour y faire face (confinement, couvre-feu, fermeture des frontières) prises par les Etats ont eu un impact sur le quotidien des citoyens en Afrique de l’Ouest. Il serait important d’évaluer les effets sur les populations transfrontalières et d’apporter des réponses appropriées à l’endroit notamment des femmes et des jeunes dont les activités sont restées, des mois durant, coupées des pôles économiques.
Enfin, si l’insécurité grandissante dans la sous-région devient une tendance lourde de l’environnement d’intervention, il sera difficile d’atteindre pleinement les résultats du PCTL2 sur l’ensemble des sites retenus.
Propos recueillis par IC